Vendredi 23 août, 30’ avant le départ. Nous sommes sur la ligne, prêts à affronter la montagne et plus particulièrement les 122km et 7000m de dénivelé du Tour des Cirques, une des épreuves du Grand Raid des Pyrénées. Mon fils, Guillaume, a accepté de faire mon assistance. Pour la première fois, il va sillonner la montagne en voiture pour aider son trailer de papa. C’est parti pour 122km dans les Pyrennées.
10h, les coureurs enclenchent leur chrono, le départ est donné de Piau, une petite station de ski située à 1800m d’altitude. C’est la première fois que je prends un départ si haut. C’est magnifique. La neige a cédé la place à l’herbe et sa belle robe verte. Franchir l’arche de départ est toujours un moment particulier. Un mélange d’anxiété et de soulagement. On a envie d’enfin d’en découdre mais les doutes sont aussi là. Ca y est, on y va!
Je me suis bien préparé pour cette course. 10 mois d’entraînement pas toujours simples. Malgré tout cela, et malgré la confiance affichée par mes coach, je doute. Suis-je vraiment capable d’avaler plus de 100km en montagne? Je vais passer ma première nuit complète en course, n’ai jamais couru plus de 100km et ne connais rien des Pyrénées ni du parcours. Bref, mieux vaut ne pas trop réfléchir et faire face aux difficultés quand elles se présenteront. Par contre, j’ai beaucoup progressé en gestion de course. J’ai fait quelques ultras et je commence à savoir comment mon corps et mon mental réagissent. C’est un atout et je vais l’utiliser.
Je démarre la course en mode économie. Premier sommet atteint assez facilement. Les paysages commencent à se dévoiler.
Je me sens en forme, c’est rassurant. Le passage du premier point de contrôle ne pose pas de problème. En route vers le point d’assistance de Gèdre. Une grosse montée à avaler puis une très longue descente. Je monte lentement pour épargner mon énergie. Somment franchi, une très longue descente s’annonce. J’ai envie de me lâcher un peu. La descente n’est pas trop raide, c’est mon terrain préféré. J’allonge la foulée et dépasse pas mal de monde. Je saurai plus tard que j’ai repris 100 coureurs rien que sur cette descente.
Les paysages sont somptueux. La nature est intacte. Pas une habitation en vue. C’est magique… Premier ravitaillement avec assistance en vue. Je rejoins Guillaume au Km25 après 5h de course. On fait le bilan. Tout va bien: suis en forme, les jambes suivent, le parcours tient ses promesses et j’ai 30’ d’avance sur mon planning. La première grosse difficulté du parcours s’annonce. 14km pour une dénivelé positif de 1500m. En clair, ça va taper dans les mollets. Je me sens prêt à en découdre. En route!
Les paysages sont de plus en plus beaux. Nous longeons un cours d’eau, les animaux sont en liberté. Je nage dans le bonheur. Ça monte et c’est loin d’être une balade de santé, mais c’est tellement bon.
Première difficulté passée en douceur. Il est 21h quand j’arrive au km 50 à la base de vie de Gavarnie. J’ai encore repris 100 concurrents et me sens en super forme. Guillaume m’aide à me préparer pour la nuit. Le jour tombe, je vais entrer dans ma première nuit de course en montagne. Devant moi, 20km et 2 grosses bosses pour atteindre la base de vie au km70. Je quitte le ravitaillement gonflé à bloc. Frontale vissée sur la tête, je m’enfonce dans la nuit. Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend et ne vais pas être déçu du voyage. Il fait nuit noire, je me perds plusieurs fois et les montées sont interminables. La fatigue s’installe. Je sais que la course commence vraiment au km70. Je dois atteindre ce point en m’économisant au maximum.
Courir de nuit est très particulier. Je m’attendais au grand silence mais c’est sans compter sur les bruits de la nature. Courir le long d’une cascade sans la voir est vraiment grisant. Du coup, je n’ai pas de photo car on ne voyait vraiment rien…
5h du matin, 17h de course, km70. Ravitaillement. Je suis toujours dans mon timing. La fatigue commence à se faire sentir mais je me dis que je vais peut-être pouvoir finir. Il reste 50km… Petite soupe, recharge en alimentation et micro-sieste de 20’. Ça requinque et je n’ai qu’une envie, poursuivre ma route. 6h du mat, je m’élance. Le monstre est devant moi. Un côte comme je n’en ai jamais vu. 2200m de dénivelé positif sur 20km. Essayez d’imaginer à quoi ça rassemble…
Les 10 premiers km se passent assez bien. Je tiens le coup. Je rejoins mon assistant, Guillaume, pour la dernière fois à Barèges. A partir d’ici, je serai seul jusqu’au bout car il ne lui sera plus possible d’accéder aux derniers ravitaillements. Il reste 40km (un marathon…). Le jour se lève lorsque je m’élance. C’est magnifique. J’ai passé ma première nuit en montagne sans vraiment m’en rendre compte et j’ai adoré. Ce ne sera pas ma dernière, c’est certain. Mais ce sera pour plus tard.
Les km qui suivent se déroulent assez bien. Ça monte mais j’ai l’énergie pour avancer. L’entraînement paie, c’est clair. Le soleil arrose les sommets de sa belle couleur orange. Il n’en faut pas plus pour me rendre heureux.
Le sentiment de bonheur sera de courte durée. J’atteins l’entrée d’un pierrier venu droit de l’enfer. Des immenses blocs de pierre sont sur notre route des km durant. Pendant 5-6h, je m’épuise dans ce pierrier de la mort. Les jambes encaissent, le rythme est très lent, il fait très chaud. C’est interminable. Je suis dans le rouge physiquement et mentalement. Pour couronner le tout, il n’y a pas de réseau. Mes proches doivent être inquiets. Je me cale cette phrase dans la tête et me la répète en boucle: chaque pas me rapproche de la sortie, il faut tenir. La technique fonctionne. Le prochain ravitaillement est enfin en vue. Je prends le temps de récupérer ce qui n’est pas facile car il fait très très chaud.
Il me reste 2 « bosses » à passer. C’est jouable. Les 10km qui suivent me conduisent droit au dernier ravitaillement. Je suis à bout de force. Il reste 3h de course pour franchir la ligne d’arrivée. Si je ne prends pas le temps de récupérer, je ne l’atteindrai pas. Je n’ai pas encore eu de coup de mou depuis le début. Après 32h de course, je commence à me sentir mal pour la première fois. Je sais que ça va passer. Je prends le temps de récupérer et de m’alimenter correctement. Ça fonctionne. 1h plus tard, je m’élance pour les 10 derniers km en descente vers l’arrivée à Vielle-Aure. La forme revient et le sourire l’accompagne. La dernière descente s’amorce, la ligne est en vue.
Un panneau annonce qu’il reste 1km à parcourir. C’est toujours un super moment à savourer. Se laisser glisser en sentant l’émotion monter. Il y a des spectateurs partout. Ils encouragent. Des ailes me poussent. Mes pensées se mélangent: les centaines d’heures d’entraînement, la course, ce que j’ai vécu de beau au fil des km, la chance que j’ai de pouvoir faire ce sport, mon prochain défi… Puis, dernier virage, l’arche de la ligne d’arrivée est en vue. Guillaume est là, on se sourit. Emotion intense, des larmes, un sourire, des applaudissements et une médaille.
Je suis finisher du Grand Raid des Pyrénées 122km en 34h47’ (247e/677). Bon sang, que je me sens fier. Bon sang, que ça fait du bien. Bon sang, ces 120km ont été une sacré aventure!