Il est 3h45 du matin. La nuit a été courte. Réveillé à 2h, j’ai pris mon petit-déjeuner énergie habituel d’avant course. Ultime vérification de mon équipement et il est temps de se diriger vers la ligne de départ. Place de l’Eglise à Chamonix, des centaines de coureurs trépignent dans la nuit noire. Je dis au revoir à Anne, mon épouse, et me place dans le grand box de départ un peu nerveux. Les questions m’envahissent: suis-je prêt, comment va se passer le départ, comment vais-je gérer la chaleur, et si je me blesse… Je chasse ces idées pour essayer de vivre le moment si intense du départ et entrer dans ma petite bulle. On annonce une superbe journée mais aussi de fortes chaleurs (28°). Ca va être magnifique!
Le compte à rebours commence, les 1000 coureurs décomptent en coeur puis enfin, à 4h, le départ est donné. Après des mois de préparation, je m’élance pour 92km en montagne pour la première fois. Les frissons m’envahissent, je sens que c’est un moment que l’on ne vit que très rarement dans sa vie. Un de ces moments où l’on a rendez-vous avec soi-même. Je passe la ligne de départ du Marathon du Mont Blanc.
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1er Col – Montée vers le Brévent
Les 2 premiers km sillonnent le centre de Chamonix. Je le sais, j’ai bien étudié le parcours, pour ne pas me faire piéger au départ et être certain de me retrouver dans un « bon paquet » lors de la première montée, je dois courir vite et bien me placer avant d’entamer la montée.
Le 90km du Marathon du Mont Blanc est une course très difficile et technique qui s’étire sur 6 cols (situés entre 2000 et 2500m d’altitude) pour une dénivelé total de 6000m. Pour corser le tout, le parcours est jalonné de barrières horaires. Ce sont des points de contrôle où il faut impérativement passer avant un certain délais pour ne pas se faire exclure. Mon objectif de course est simple, je veux finir sans me faire exclure. Je dois donc parcourir les 92km en moins de 24h. Les 2 premières barrières sont très exigeantes et appellent un rythme de course assez soutenu. Sur la ligne, beaucoup de coureurs en parlent. Il est donc clé de prendre un bon départ pour pouvoir les passer dans les temps.
Nous entamons la première montée en direction du Brévent (à 2500m d’altitude). 8km de lacets étroits dans les arbres puis les rochers. Tout le monde a beaucoup d’énergie, il y a même parfois un peu d’énervement quand ça ralentit. Puis, progressivement, le silence s’installe dans la nuit. Chacun rentre dans sa course, seuls les bruits de pas se font entendre. C’est magique. Je suis dans un bon « paquet ». Nous avançons à bon rythme sans que je me fatigue. Je surveille ma vitesse, je vais un peu plus vite que ce que j’avais prévu, ça me rassure.
Nous sommes à 6km du départ. Chamonix scintille dans la nuit à nos pieds alors que les lampes frontales des coureurs s’étirent sur le chemin en « Z » telle une guirlande. Spectacle merveilleux dont j’essaie de m’imprégner. Puis, au 8e km, nous passons le Brévent. J’ai 30’ d’avance sur ce que j’avais estimé. Génial! Le jour se lève, la montagne se découvre et la course se poursuit dans la neige vers Plampraz puis Flégère où la première barrière horaire nous attend. Mes jambes sont au rendez-vous (merci à elles), je descends comme une gazelle porté par l’enthousiasme et la beauté des paysages. Il est 7h21, je passe à Flégère (Km18) avec 55’ d’avance sur la 1ère barrière horaire.
Direction Tête aux Vents
Le 2e col s’annonce vers Tête aux Vents (2133m). Le soleil continue à étendre sa belle couleur jaune-orange sur les sommets. Le Mont Blanc est là, majestueux. Le spectacle est enchanteur. La file de coureurs s’est très fortement étirée, je suis presque seul et prendRavito à Le Buet
mon rythme de montée que j’avais fixé à +-12’/Km. Le sommet est atteint sans trop de difficulté après 21km de course. J’entame la première descente technique vers Le Buet où Anne m’attend au ravitaillement. Je la préviens par téléphone que je suis en avance sur mon planning. On est encore en début de course, j’ai toutes les jambes pour descendre. J’atteins Le Buet après 5h de course, il est 9h. Super nouvelle, j’ai encore pris de l’avance sur mon planning, 1h30’ d’avance sur la 2e barrière horaire. Je n’en reviens pas. Passer les 2 premières barrières me semblait si difficile et j’y parviens sans trop de difficultés. Porté par l’enthousiasme, je ne fais qu’un bref arrêt sous le regard perplexe d’Anne.
Je sais maintenant que j’approche de la grosse difficulté du parcours et que je dois m’économiser si je veux la passer. La montée vers le barrage d’Emosson est réputée pour sa grande difficulté. Non seulement, elle est hyper raide mais en plus, il faut la gravir vers midi alors que le soleil tape terriblement. Avant la montée vers Emosson, je dois passer par un col de difficulté moyenne à Loriaz.
J’ai bien repéré cette partie du tracé lors de la reconnaissance que j’ai faite il y a 4 semaines. Les notes de mon petit roadbook m’aident à bien doser mon effort. Km34, passage à Loriaz. Tout va bien, c’est en tout cas ce que je crois… Un SMS fait sonner mon GSM, Anne me prévient que mes coachs, qui suivent ma course depuis la Belgique, sont inquiets. Je vais trop vite. A ce rythme, je ne pourrai pas aller au bout. Je dois absolument ralentir. J’avais effectivement remarqué que mon rythme était élevé mais pas compris que cela pourrait me mener à un échec. Je suis le conseil qui m’est donné: je ralentis pour arriver dans les meilleures conditions possibles au bas de la côte vers le barrage d’Emosson. J’en profite aussi pour m’alimenter correctement dans la descente afin de ne pas être en phase de digestion dans la montée suivante. Un précieux conseil qui m’a été donné lors de mon stage de reconnaissance.
Montée vers le barrage d’Emosson
Il est 11h, la fameuse côte vers Emosson (700m de D+ sur 5km) est devant moi. Il est temps de m’élancer pour 2h de montée difficile en plein cagnard. Anne sera en haut. Ouf! Les tronçons les plus pentus me font vraiment souffrir. Je dois faire plusieurs arrêts et me rafraîchir grâce à l’eau qui ruisselle entre les cailloux. Tout le monde est en souffrance. C’est très dur mais j’avance. Une petite douleur apparaît au pied droit. Une cloche, et m…. Je serre les dents jusqu’en haut. J’atteins le barrage après 2h02’ de montée.
J’ai souffert mais je sens que je peux tenir le coup. Par contre, mon pied me fait bien mal, je peux à peine courir. Anne m’attend pour un ravitaillement complet. Arrêt de 20’.
Je récupère, prends le temps de manger et de m’hydrater correctement. Elle parvient à soigner ma cloche avec un Compeed et du tape. La douleur est toujours là mais je devrais pouvoir courir. Waouw! Je repense à un des conseils de mon coach: si tu as une douleur en chemin qu’on ne peut pas soigner, cours sur ta douleur. Voilà donc ce qui m’attend pour les 50 prochains km.
Je redémarre pour la descente vers Chatelard ou je serai à mi-course (km 48). Le chemin très technique et accidenté commence à bien m’user les jambes.
5e col – En route vers L’Arolette
Ca y est, le 5e col est devant nous. Une énorme montée vers L’Arolette (2333m d’altitude) puis le col des Posettes. Le chemin boisé dans un premier temps s’ouvre assez vite sur la montagne. Le spectacle est à nouveau là. Je suis à 12h de course. SMS réconfortant de mon coach: « A partir de maintenant, tu entres dans l’inconnu et dans le dur. Tu t’es bien préparé, tu vas y arriver ». Sourire crispé…
Passage à Catogne et ses prairies jalonnées de magnifiques petits chalets en bois. J’essaie de profiter du paysage mais n’ai pas la force de prendre une photo… La fatigue commence à faire des dégâts et j’ai des difficultés à m’alimenter et boire. Il me faudra 2h45 pour atteindre le sommet des Posettes (km 57). Le prochain ravitaillement est en en bas, il faut courir 1h30’ de plus pour l’atteindre. La descente est de plus en plus difficile au fil des km et me semble bien longue. Je souffre beaucoup. Le Tour est enfin là, AnneJe commence à récupérer…
m’attend pour un ravitaillement complet. Je suis vraiment mal en point. Le coach m’avait prévenu, je suis bien dans le dur. Nausées, maux de ventre, probablement un peu déshydraté, je me sens loin. Quelques larmes m’échappent. Je dis à Anne: « C’est très dur, tu sais ». On prend le temps. Elle me soigne comme une reine et je retrouve doucement mes esprits. Je n’envisage pas d’abandonner mais me demande comment je vais pouvoir continuer. Heureusement, l’énergie revient progressivement et les nausées commencent à passer. 10km de descentes sont devant moi. Je dois absolument mettre ce passage à profit pour récupérer si je veux avoir une chance de passer le dernier col et finir la course.
Je vais à mon rythme. Je suis encore assez mal. Je suis au km 65 et j’essaie de calculer ce qu’il me reste à jusque l’arrivée. Le calcul me semble simple (90km – 65km =) mais je ne trouve pas la réponse. J’hésite entre 15, 25 et 35 km. La sensation est très étrange. Je suis conscient que le calcul est simple mais je ne parviens pas à le résoudre. Je fais le constat que je n’ai plus toute ma tête. Heureusement, l’énergie (et le sourire) revient progressivement. Je commence à me dire que je vais peut-être pouvoir aller jusqu’au bout. Après 1h15, je rejoins un nouvelle fois Anne à Le Bois (km 73) pour le dernier ravitaillement avant d’entamer la nuit et la montée du dernier col vers Montenvers puis Le Plan de l’Aiguille (2191m). Je m’allège au maximum et prend le nécessaire pour la nuit. Après les fortes chaleurs de la journée, on annonce 10° en altitude. Cette fois, ça y est, je m’élance pour la dernière montée. Quoi qu’il arrive je devrai aller au bout. A ce moment, j’ai 1h30 d’avance sur la barrière horaire. Si je ne me blesse pas, ça devrait passer.
Dernier col – Montenvers puis Plan de l’Aiguille
21h – Sourire retrouvé pour attaquer la dernière montée
3h de montée et 1h30’ de descente m’attendent pour rejoindre la ligne d’arrivée. Le moral est là. J’espère que mes jambes tiendront le choc. C’est parti! Ascension lente sur la première moitié puis nous atteignons une partie où il faut escalader des rochers toujours plus gros en longeant la mer de glace. J’ai un bon regain d’énergie et j’accélère un peu pour rejoindre Montenvers (km 78) que j’atteins en moins de 2h. Il reste alors 6km de montée vers le Plan de l’Aiguille. Il est 22h50. Cette fois ça y est, je vais finir. Je le sens. Je vais me la faire cette course et franchir la ligne! 1h30 plus tard, il est 00h30, je passe enfin le refuge du Plan de l’Aiguille (km 84). Au ravitaillement, il règne une petite ambiance de café de vacances en plein air (le rhum en moins). Je ne m’arrête pas (puisqu’il n’y a pas de rhum). Au moment d’entamer la descente, je n’en peux plus. On nous annonce 1h30 jusqu’à l’arrivée. Mes jambes ne répondent plus correctement. Je vais devoir être prudent.
A mes pieds, Chamonix brille dans la nuit. Il reste 1100m de dénivelé négatif et 8km à parcourir. Les 8 derniers. L’énergie se fait rare et la descente me semble exigeante (je ne sais pas si elle l’est vraiment, en fait). Je regarde régulièrement dans la vallée pour apprécier ma vitesse de descente et me donner du courage. Je parviens à faire les premiers km en courant puis je dois marcher. Je me tape violemment le pied contre un pierre. Dju! Les derniers km sont très difficiles. Je veux en finir. Chamonix se rapproche très lentement. Trop lentement. Puis, les bruits de la ville se font entendre. Je distingue les applaudissements et encouragements qui viennent de tout en bas. Courage…
Enfin, le béton est sous mes pieds (je n’aurais jamais cru dire ça un jour, moi qui aime tant courir sur les sentiers). Un petit groupe m’applaudit au passage. Ca y est, la ligne est à quelques centaines de mètres. Je traverse les rues de Chamonix, tous les gens que je croise applaudissent. C’est merveilleux. L’arrivée est enfin là après 22h d’efforts. Il est 2h du matin. Je n’ai même plus la force de lever les bras. On me remet la fameuse médaille de Finisher. C’est incroyable, je l’ai fait. Je suis à bout de force mais je l’ai fait. J’ai 2h d’avance sur mon estimation (521e/1000). Je suis Finisher du 90km du Marathon du Mont Blanc. Vous n’imaginez pas ce que cela fait d’écrire cette phrase.
Anne me rejoint. On se parle un peu. Je reprends doucement mes esprits. L’émotion et quelques larmes m’envahissent… 5 années que j’ai commencé à courir, 8 mois de préparation intense qui ont demandé de nombreux efforts mais cette fois je le sais, tout ce travail m’a permis de réaliser un de mes plus grands rêves. Celui de participer à un ultratrail mythique.
Avant le départ mes coaches m’avaient dit qu’ils pensaient que j’étais prêt. J’avais pris le compliment avec de la réserve tant je sais que l’ultratrail est un sport très exigeant physiquement. Je sais maintenant qu’ils avaient raison.
Mon avis sur cette course
Le Marathon du Mont Blanc est clairement la plus belle et la plus exigeante course que j’ai jamais faite. La montagne ne se laisse pas dominer. Au mieux, elle nous tolère. C’est dans cet état d’esprit, avec beaucoup d’humilité, qu’il faut l’aborder. Avec une bonne préparation et une bonne dose de motivation, il est possible de la finir. La beauté du parcours est à la hauteur de la difficulté. Mais, comme je l’ai dit à Anne à l’arrivée, si je peux le faire, tout le monde peut le faire.
Et après?
Depuis mon arrivée, on me demande quel sera mon prochain défi. Car oui, il y en aura d’autres. Sans défi, il n’y a pas d’appel à se dépasser (ce que j’appelle la « traction positive »). A court terme, c’est un défi d’un autre ordre que j’ai décidé de relever. Je me lance dans l’écriture d’un livre qui devrait être disponible début 2019.
J’ai commencé à m’occuper de moi il y 5 ans tout juste. En 5 années, je suis donc passé de mon divan au Mont Blanc… Au travers de ma passion pour le running trail, j’ai complètement transformé ma vie. J’ai aussi beaucoup appris et lu sur notre capacité à reprendre notre vie en main et les moyens pour y arriver. J’ai décidé de partager mon expérience et mes connaissances dans un livre.
Défi sportif?
Côté défi sportif, j’ai plusieurs pistes. Soit une nouvelle course mythique (oui, bien sûr j’ai l’UTMB quelque part en tête, comme beaucoup de traileurs, mais ce n’est pas la seule) soit un défi d’un autre genre. Je veux être certain de faire un bon choix car la préparation est toujours longue et il faut veiller à ce que l’objectif soit suffisamment fort pour que la motivation reste élevée. Je vous en parlerai bientôt.
Merci à mes coaches pour l’encadrement de la préparation, les encouragements et le suivi pour la gestion de la course.
Merci à ma chérie de me laisser le temps de vivre cette passion (parfois chronophage) et pour les excellents soins avant, pendant et après la course.
Merci aussi à vous toutes et tous pour vos marques de soutien pendant la préparation et durant la course. C’était juste génial!
La réussite de ce défi, je me la dois mais vous y avez aussi contribué. Merci!
A bientôt… 😉
Jean-Pascal