45h20′, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour parcourir les 172km et 10.000m de dénivelé de l’UTMB, une balade sympa qui fait le tour du massif du Mont Blanc. Taille du défi physique, majestuosité des lieux, magie de ce rendez-vous incontournable du Trail et aventure humaine extraordinaire. Récit de mon UTMB 2021.
Cela fait des années que cette course mythique me fait de l’oeil. A mes yeux, elle a tout pour plaire. Un site magique, le Mont Blanc, un parcours mythique, une distance considérée comme la référence ultime, une ambiance de folie, une magie qui ne s’explique pas. Ma femme m’avait dit il y de nombreuses années « je sais qu’un jour tu feras l’UTMB » mais je n’ai jamais vraiment osé y croire. L’envie avait grandi au fil du temps et de mes progrès mais je n’avais jamais vraiment osé m’imaginer franchir la ligne départ. Un jour de juin 2021, en recevant un email intitulé « Vous êtes inscrit à l’UTMB 2021 », j’ai commencé à réaliser.
C’est quoi l’UTMB, au fait?
Ces 4 lettres ne vous disent peut-être rien mais pour les coureurs de montagne comme moi (ceux que l’on appelle les Trailers), c’est LA course de référence dans le monde. L’Ultra Trail du Mont Blanc. La course que tout le monde voudrait faire une fois dans sa vie. Celle de tous les superlatifs. La plus mythique, la plus médiatisée, la plus belle (peut-être), la plus désirée… Un parcours de 172 km et 10.000m de dénivelé au départ de Chamonix qui fait le tour du massif du Mont Blanc. Ces chiffres donnent le tournis? Si l’on tient compte des 15 barrières horaires qui jalonent le parcours et ne donnent aucun répit, on comprend encore mieux la difficulté du défi. Les meilleurs bouclent le tour en un peu plus de 20h et le temps maximum pour finir est fixé à 46h30. Pour pouvoir prendre le départ, il faut avoir bouclé au moins 2 courses de 100km en montagne et avoir eu de la chance au tirage au sort. Bref, rien que s’aligner avec un dossard est déjà un défi.
Derniers préparatifs
Après des années d’attente, des mois d’entraînement spécifique (2000km parcourus en 2021 et plus de 200 séances de course, vélo, muscu et natation) et une préparation de course minutieuse, la famille se met en route pour Chamonix. La météo s’annonce bonne, nous devrions vivre une belle aventure.
J-1. Réveil à 6h pour une dernière petite sortie de 20’ histoire de dégourdir les jambes. Tout semble ok. La petite douleur à la hanche apparue une semaine plus tôt et soignée par mon kiné en urgence avant le départ pour Chamonix a disparu. Parfait!
Direction le centre de Chamonix. Aujourd’hui à 10h, je vais recevoir mon dossard et ma balise GPS. A peine sorti du bâtiment avec l’enveloppe contenant le précieux sésame, je veux voir à quoi il ressemble. J’ai envie de le voir, le toucher, le sentir… J’ouvre l’enveloppe avec beaucoup d’excitation. Là, en voyant mon nom à côté de la mention « UTMB », je ne peux retenir mes larmes. Il m’a fallu tant d’années pour y avoir droit que l’émotion est trop forte. Je le tiens ce fichu dossard et demain je l’arborerai fièrement. Reste un défi: ne pas le perdre avant le départ…
Après-midi, c’est le moment de régler tous les détails avec mon équipe d’assistance. Mon grand garçon, Eliott, sera le Chef de l’équipe. Il porte son t-shirt «Assistant Chef de mon Papa » avec fierté.
Ca y est, départ en vue 👀
Réveil en douceur ce vendredi, jour du départ. Tous les livres que j’ai lus conseillent de passer une journée au calme en restant allongé le plus possible. Toute l’équipe familiale se met au boulot. On prépare les ravitos, revérifie le matériel, la météo et l’organisation et je refais mon sac 3 fois. Finalement, vers 15h tout est prêt et nous prenons la direction du départ.
Je me sens serein et surtout très heureux. Tout tourne très vite dans ma tête. La prépa, le parcours, mon Roadbook, ces p… de barrières horaires… Ca se bouscule là-haut mais je ne me sens pas stressé. Après tout, je ne sais plus faire grand chose si ce n’est attendre le départ et ensuite mettre un pied devant l’autre aussi vite que possible jusqu’à l’arrivée ;).
Au fil de mes progrès sur les courses longue distance, j’ai développé une petite philosophie personnelle dite « de la ligne de départ ». Au lieu de viser la ligne d’arrivée et un potentiel résultat, je focalise mon énergie pour passer la ligne départ. Toute mon attention et ma préparation sont basés sur ce moment. Cela me permet de me concentrer sur l’essentiel: être le plus prêt possible physiquement et mentallement et non blessé pour pouvoir profiter de chaque moment une fois la ligne de départ franchie.
A 17h, les coureurs sont attendus dans le parc à boeufs à 100m du départ. Une sorte de prairie où nous sommes divisés en 3 groupes pour étaler les départs. 17h, les meilleurs, 17h30 les coureurs (un peu) moins bons et 18h les plus lents… Je fais partie de cette troisième vague. C’est là que je rejoins Joris. Un autre belge que j’ai rencontré un mois plus tôt lors d’un stage de reconnaissance du parcours. Nous sommes contents de nous retrouver et échangeons quelques mots. Le speaker nous invite à nous diriger vers la ligne de départ sur la Place mythique de Chamonix, celle du Triangle de l’amitié.
18h, Let’s go!
Nous recevons un briefing de course sommaire puis la nouvelle directrice de l’UTMB prend la parole pour un discours assez nul et visiblement non préparé… Puis le countdown s’enclenche. Je me tourne vers Joris. « Veux-tu que nous fassions quelques km ensemble? On verra comment ça se passe. 2, 15, 30km, on verra ». C’est tentant mais nous savons tous les deux que cela peut être très hasardeux. Pour pouvoir faire ce type d’épreuve en duo, il faut avoir le même niveau, un rythme similaire et surtout partager la même approche de la course. C’est le cas. Nous voulons tout faire pour finir. Chrono et classement ont peu d’importance. Sur ce point, nous sommes d’accord et décidons de nous élancer ensemble. Nous nous séparerons si besoin.
Ca y est, Vangelis retentit dans le centre de Chamonix. Le départ est donné, les applaudissements et cloches se font entendre. Nous avançons lentement et passons sous l’arche de l’UTMB, tout un symbole. J’enclenche mon chrono. Des larmes me viennent. Je le les retiens pas. Quelle sensation de s’élancer pour 172km en montagne après tant d’années de préparation. J’ai bien le droit à quelques larmes après tout.
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Les premières foulées d’un ultra-trail, c’est un peu comme quand on ouvre les yeux au réveil. On sait directement comment on va se sentir pour la journée. En course, on ressent immédiatement si les jambes sont au RDV ou pas. Les miennes sont bien là, on peut y aller. Je me sens en super forme!
Le sourire a remplacé les larmes. Je croise ma famille dans le premier virage après le départ. Mon petit Eliott agite sa cloche pour m’encourager. Il n’est pas seul, des centaines, des milliers de personnes crient, applaudissent, encouragent les coureurs que nous sommes. Pendant 3km, un flux incessant d’encouragements nous donne la sensation de voler. C’est magique! Je tente de m’imprégner au maximum de cette ambiance pour ne jamais oublier.
Progressivement, la foule s’étire et nous prenons notre rythme de croisière. Les 8 premiers Km rejoignent Les Houches et sont sans aucun intérêt. Un simple chemin en gravier en légère pente. Chacun entre progressivement dans sa course, le silence s’installe. J’adore ce moment. Joris et moi avançons à la même allure. Comme nous l’avons lu et entendu des dizaines de fois, il ne faut surtout pas se brûler en début de course. Message reçu, nous passons dans les derniers au premier pointage chrono (2000e/2400).
Joris et moi sommes d’accord sur la stratégie pour nous donner une chance de réussir notre UTMB: atteindre Courmayeur (km80) aussi frais que possible. Nous savons que c’est la clé de la réussite mais c’est aussi le problème. Parvenir à courir 80km en montagne en restant frais relève quand même du doux rêve mais c’est la ligne de conduite que nous nous sommes fixée.
Entrée progressive dans la course
Les choses sérieuses commencent, la première ascension est devant nous: 830m de dénivelé s’étalant sur 6,5km. C’est donc une difficulté moyenne. Nous sortons les bâtons et commençons à monter. La montée est facile et tout va bien. Ensuite, première descente de 1000m vers Saint-Gervais. A ce stade, le but est d’aller lentement pour protéger les quadriceps. Nous dépassons pas mal de coureurs alors que la nuit commence à tomber. Nos lampes frontales sont toujours dans le sac et nous décidons de ne pas nous arrêter pour ne pas couper notre élan. A 2km du ravitaillement de Saint-Gervais, il fait nuit noire et nous calons nos pas dans la foulée des coureurs équipés de leur lampe. Après 3h de course, le ravitaillement nous accueille. Premier objectif atteint :). Nous sommes dans les temps, tout va bien et avons gagné 100 places au classement. Sourires. Nous nous équipons pour la nuit et reprenons la route. La nuit est devant nous et le froid s’installe.
10km nous séparent du premier ravitaillement avec assistance des Contamines-Montjoie (km 31). C’est là que j’y retrouverai mon assistant Chef pour la première fois. Nous arrivons aux Contamines à 23h après 5h d’effort et en grande forme. Il y a beaucoup de monde (et ça sent la bête) sous la tente d’assistance. Je me fais dorloter par mon assistant de luxe. Une bonne soupe, j’enfile une polar pour la nuit et me voilà reparti pour 1350m d’ascension pour rejoindre le Col puis La Croix du Bonhomme à 2400m d’altitude.
Arriver « frais » à mi-course
Le ravitaillement du Col du Bonhomme (km 44) est atteint assez facilement et nous avons encore progressé dans le classement (nous sommes désormais 1735e/2400). Je n’en fais pas une fixation mais je garde toujours un oeil sur le la classement pour connaître ma dynamique de course. Suis-je en train de progresser ou suis-je à la traîne par rapport aux autres concurrents?
Nous sommes maintenant bien échauffés ;). Courte pause car ça caille. Grosse descente vers Les Chapieux. Franchement, je n’ai rien vu sinon mes pieds… C’est la nuit et ma frontale n’éclaire que le sol. Pour voir le paysage, il faudra revenir de jour. 4h du matin, nous atteignons le gros ravitaillement des Chapieux. Nous prenons notre temps pour récupérer et bien recharger nos sacs en nourriture et boisson car le prochain point d’eau est à +- 5h et il est situé après une des grosses difficultés du parcours, les Pyramides Calcaires (rien que le nom fait peur, vous ne trouvez pas?). C’est le seul passage du parcours que je n’ai jamais emprunté et il m’a été décrit comme une belle saleté, pardon difficulté.
Départ des Chapieux vers 4h du matin (10h de course depuis le départ). Le froid nous surprend. Nouvel arrêt à 1km du ravito pour ajouter une couche thermique. On nous a annoncé 2 degrés en altitude, ça se confirme. Nous voilà en route vers le Col de la Seigne (960D+) où nous devrions assister au lever du soleil. Nous profitons de cette montée facile pour discuter un peu car jusque là, Joris et moi nous sommes très peu parlé. On échange sur nos familles, comment on se sent, les prochaines étapes… Nos liens se tissent lentement.
Après quelques km de marche assez rapide, la Ville des Glaciers est à nos pieds et les choses sérieuses commencent. Je passe devant, j’aime les montées, et tente de donner un rythme. Une fois en haut (Km 60), une des plus belle image de cette aventure s’offre à nous. Le soleil se lève au loin. Il est 6h30. Sa belle couleur orange caresse les crêtes. C’est sublime. Les montagnes s’étendent à perte de vue. Sentiment de plénitude. Je tente quelques photos mais rien ne vaudra de vivre ce spectacle sur place. Yes, la première nuit est derrière nous. Je suis boosté. Il fait très froid mais nous avons le sourire en entamant la descente.
A partir du Col de la Seigne, nous sommes en Italie. Ça commence à sentir Courmayeur (mi-course). Une courte descente nous mène au pied des fameuses Pyramides Calcaires. J’appréhende carrément ce passage. La montée est assez facile mais la descente dans le pierrier n’est vraiment pas à mon goût. J’ai tellement peur de me blesser sur ces pierres instables que je n’avance presque plus. Joris, lui, est très à l’aise en descente et aimerait avancer plus vite. Je le sens dans mon dos mais je garde mon rythme. Le soleil a étendu ses rayons et la chaleur caresse nos épaules. Que c’est bon de sentir cette douceur après le froid de la nuit. Un délice. Passé le pierrier, nous atteignons le ravitaillement du Lac Combal. Il est 8h15, le ravitaillement est encore à l’ombre et je prends froid. Je tente une soupe pour me réchauffer mais je sens que nous devons reprendre la route pour ne pas être frigorifiés. Le long plat le long du Lac Combal nous remet en jambe et la dernière petite montée avant Courmayeur nous attend. Je prends des nouvelles de mon assistant Chef et lui donne mon heure de passage estimé à Courmayeur. Nous avons 1h d’avance sur notre planning, il ne faut pas qu’on se loupe… Il est dans le bus de l’UTMB et sera là à temps. Ouf!
Passage assez facile par l’Arrête du Mont-Favre sous un soleil radieux. Courmayeur nous voilà! Grosse descente dans la vallée pour rejoindre nos assistances. Joris, plus rapide que moi en descente, prend de l’avance au cours des 1200m de dénivelé négatif. J’arrive à Courmayeur comme je l’espérais. En forme, super heureux, avec 2h d’avance sur la barrière horaire, sous le soleil et décidé à bien me retaper pour attaquer la suite du programme. Il reste 92km pour rejoindre Chamonix.
J’ai donc un grand sourire en arrivant au ravitaillement (J’ai même droit aux encouragements d’une lectrice du blog qui me reconnait. Merci!). Sentiment de plénitude. Je suis si heureux. J’ai réussi à faire 80km en montagne sans me brûler et commence à croire que finir est envisageable. Du coup, je suis distrait et vais très mal gérer ce ravito. Je me change, mange un peu, raconte la première nuit, soigne mes ampoules, écoute les conseils de mon assistant Chef, tente de dormir un peu…
Je suis en train de perdre du temps sans m’en rendre compte. Je voulais rester 30’ au ravito. Je repartirai après 1h08’… Une éternité. Je n’ai plus qu’une heure d’avance sur la barrière horaire. Je ne m’en rends pas compte mais je suis occupé à créer un problème. Pour ne rien arranger, j’ai perdu Joris et ne parviens pas à le joindre au téléphone. Je dois donc repartir seul et espérant qu’on pourra se rejoindre plus tard.
Ca se complique…
Grosse montée sous un soleil de plomb. Il fait maintenant très très chaud et je suis en pleine digestion. Je sens bien que je n’avance pas à mon rythme habituel. Sans parler des 80 premiers km qui ont quand même entamé ma forme physique. Cela permet à Joris de me rattraper. Nous allons continuer notre aventure ensemble et ça me fait très chaud au coeur. Je suis si content de le retrouver.
Je cours toujours seul mais grâce à notre rencontre, je découvre le plaisir de partager une épreuve en duo. C’est d’autant plus agréable que je suis tombé sur une personne en or. De plus, nous partageons les mêmes valeurs et avons une vision de la vie très similaire. En plus d’une aventure sportive, je suis en train de vivre une aventure humaine unique.
Sur le plan physique, c’est autre chose. Je vais subir les 12km qui séparent le refuge Bertone du ravitaillement d’Arnouvaz. C’est normalement un tronçon facile car « relativement » plat où il est possible d’accélérer. Normalement. Pour moi, ce ne sera pas une sinécure… Je n’avance pas et dois alterner course et marche sans cesse. Même la beauté du Val Ferret en contre-bas n’aide pas… Le temps a changé en quelques minutes. Il fait désormais gris, le vent s’est levé et la pluie menace. Ça me semble interminable et, sans m’en rendre compte, je continue à perdre un temps précieux. La fatigue est là, je voudrais pouvoir dormir un peu et propose à Joris de faire une power Nap de 30’ au ravitaillement suivant, à Arnouvaz. Il est aussi crevé que moi. Il accepte.
Après près de 23h de course, nous passons le point de contrôle d’Arnouvaz. Je suis trop fatigué pour me lancer dans mes calculs de barrière horaire. Une autre erreur car je ne réalise toujours pas que notre avance s’est considérablement réduite. A ce stade, je veux juste me reposer. Nous traînons au ravito. Passage par les toilettes sèches. Humm, un délice…
Je retrouve un peu d’énergie. Au moment de chercher un endroit pour dormir un peu, je sors mon roadbook et mon sang ne fait qu’un tour. Nous ne comptons plus que 30’ d’avance sur les barrières horaires. En clair, si nous perdons encore du temps, nous serons éliminés… Nous avons donc 2 gros problèmes. Un, pas question de dormir même si nous en avons besoin. Deux, le Grand Col Ferret est devant nous et c’est une des plus grosses difficultés du parcours. L’ascension devrait nous prendre 2h mais nous allons devoir accélérer pour regagner du temps. En résumé, nous sommes épuisés, face à un gros morceau de montagne et devons redoubler d’effort. Bref, c’est la fête.
Pas une minute à perdre. Je me propose de passer devant. Je suis un peu plus fort que lui en montée et pense pouvoir donner le tempo. La montée s’enclenche très vite. Ce Grand Col Ferret est vraiment un gros gros morceau. Je donne tout ce que je peux et sens qu’on avance. Mes jambes commencent à brûler. Je pousse au max sur mes bâtons pour les soulager. De grosses gouttes me coulent du front. C’est une bataille difficile mais en voyant le col qui se rapproche, j’ai le sentiment que c’était le bon choix. Nous pointons au sommet du Col. Yes! Nous avons fait l’ascension en 1h20’ et donc gagné 40’ sur notre timing. De quoi nous donner un peu d’air. Il nous reste 20km à descendre pour rejoindre la prochaine base de vie et nos assistances à Champex-Lac.
Au moment de basculer vers la descente (Km 100), je tente de me remettre à courir et là, horreur, mes jambes sont paralysées, brûlées… J’ai les quadriceps en feu après avoir tant donné dans le montée. Pas moyen de courir, même marcher est un supplice. Je dis à Joris d’y aller seul que nous avons pris de l’avance et qu’il doit en profiter. Je vais faire au mieux et le joindre si je le peux. A ma grande surprise, il refuse. Me disant que j’ai fait tout le boulot en le tirant dans la montée et qu’il peut m’attendre un peu. Il me dit de passer devant pour donner le rythme. Je suis hyper touché par son attitude. Waouw, quel mec! Nous nous connaissons peu et il ne me lâche pas quand nous sommes face à une difficulté. Quelle belle personne, j’ai rencontrée!
J’ai toutefois peur de le pénaliser et vais tout faire pour essayer de retrouver du rythme. Je marche d’abord 2km. C’est une descente et je m’appuie au max sur mes bâtons. Mes jambes me donnent l’impression de brûler tout mon corps. Mais ma tête reste froide 🙂 et ma motivation intacte. Très lentement, la douleur s’adoucit et je peux me remettre à trottiner. J’alterne course très lente et marche tout aussi lente… Mais nous avançons. Nous prévenons nos assistances de la situation et qu’il va falloir gérer le prochain ravito de manière optimale. Nous allons aussi devoir dormir un peu. Nos équipes de choc sont prêtes et la perspective d’être attendus à Champex-Lac nous fait chaud au coeur. Dans quelques heures, nous y serons, on s’occupera de nous et nous pourrons enfin dormir un peu.
La douleur dans mes cuisses continue à se dissiper. Bref arrêt au ravitaillement de La Fouly (km 109). Sympa, le speaker à l’entrée du poste de ravitaillement souhaite la bienvenue à tous les coureurs en citant leur prénom. C’est super agréable. Je constate que les plus petites choses peuvent amener du réconfort. Nous sommes en chemin depuis 27h et tous les petits gestes de soutien sont bons à prendre. Autre constat, nous continuons à récupérer du temps. Coup d’oeil sur le classement, nous avons progressé et sommes désormais 1340e. Malgré ma lenteur, nous avançons pas trop mal. Redémarrage vers Champex-Lac. Reste 14km pour atteindre ce que nous percevons plus comme un point de délivrance que comme un ravitaillement.
Les km qui suivent sont difficiles. Ça monte bien et je suis épuisé. Pour ne pas aider, je commence à avoir des hallucinations. J’ai l’impression que les arbres sont des gens et qu’on m’observe. Je tourne plusieurs fois la tête. Rien. J’ai vraiment besoin de sommeil.
Minuit pile, nous pointons à Champex (km123). Nos assistances sont là. Tout est prêt pour nous accueillir. On nous assied et nous dorlote. Ca fait un bien fou. En moins de 15’, nous sommes changés, nourris et prêts à aller nous allonger 20’. Des matelas à même le sol et des vieilles couvertures puantes feront office de lit. Le tout avec de gros spots qui éblouissent bien. Ca me rappelle l’internat… En m’allongeant, je me demande comment je vais pouvoir m’endormir dans ce contexte. Il ne faudra pas 10’’ pour que le sommeil m’envahisse. 20’ plus tard, le réveil sonne, il faut repartir. Nos sacs ont été préparés pendant notre Power Nap, la nuit nous attend. Je me dis qu’il nous reste un gros effort de 6h à produire puis le soleil sera là pour nous remotiver. Il nous reste 49km à pour rejoindre Chamonix répartis en 3 cols et 3 descentes. Désormais, nous retrouverons nos assistances après chaque col et ça ça fait un bien fou au moral.
17km nous séparent de Trient, le prochain ravitaillement avec assistance. A partir de Champex, 5km de plat nous attendent. Nous courons à allure modérée. Enfin, ça me paraît modéré mais en réalité nous sommes très lents… Montée de difficulté moyenne vers La Giette. En haut, je me sens faible et tente une barre pour booster mon taux de glycémie. Ça n’aura pas l’effet escompté. La descente vers Trient est devant nous. Suis toujours pas en plein contrôle. Je continue à subir la pente. Joris est en meilleure forme et prend de l’avance. Nous nous rejoindrons au ravito. Je vois enfin les rues de Trient en contre-bas. C’est proche et en même temps encore loin. Les lacets de cette descente sont très serrés et truffés de racines. Concentration maximum pour ne pas tomber. L’église rose de Trient (je ne saurai jamais si c’est une hallucination ou pas) finit par se planter de devant moi. Le ravito est à 50m, j’y suis. Il est 5h50 du mat. 35h50 que j’ai quitté Chamonix. Reste 32km soit +- 8-10h.
Je commence à me dire que je vais pouvoir aller jusqu’au bout. La phrase « être Finisher de l’UTMB » résonne dans ma tête. Jusque là, je n’osais même pas y penser. Pour cela, il faut encore récupérer un peu d’énergie et gérer la fin de course. Je sais que la toute dernière montée (Têtes aux vents) est très difficile et qu’il faut donc garder de l’énergie. Nous gérons le ravito efficacement et dormons 10’ sur un banc. En sortant de la tente, il fait jour. Ça me booste complètement. Courir la nuit, c’est fini. Le soleil va pointer le bout de son nez et nous accompagnera jusqu’à l’arrivée. En route pour Vallorcine, le dernier ravitaillement avec assistance. Il sera un peu spécial car notre logement se situe juste en face du poste de ravitaillement et je sais que toute ma famille sera là. Avant cela, il faut monter vers Catogne. Le froid transperce mes vêtements et me force à m’arrêter en pleine montée pour adapter mes couches thermiques (au passage je range définitivement ma frontale, yessss). Il gèle au sol et je dois me mettre torse nu pour me changer. Putain, je caille…
Nous montons à bonne vitesse. La soleil commence à nous caresser le dos par endroits. J’adore l’alpage de Catogne. Il est vraiment très vert et le soleil ne fait que le sublîmer. Après 2h de montée, nous amorçons la descente. Yeaaaaah! Vallorcine n’est plus qu’à 6km de descente. Le long single track est clairsemé de concurrents fatigués qui marchent. Il faut slalomer sans cesse pour dépasser. C’est un effort supplémentaire à fournir mais la motivation pour arriver en bas au plus vite nous donne des ailes. Vallorcine apparaît au loin à travers les arbres. On accélère un peu. Il fait encore très frais mais voir ma famille qui nous attend avec un grand sourire me réchauffe immédiatement. Des gens nous encouragent, des cloches retentissent et mon petit Eliott est là. J’ai demandé qu’on me prépare mon petit-dej préféré. Un café et un sandwich au fromage. Rhoo que ça va être bon.
Nous prenons un peu de temps pour nous ravitailler et trouver du réconfort. Je mange à ma faim, me change intégralement, allège mon sac et on commence à discuter de l’organisation à l’arrivée. Joris et moi avons tous les deux envie de franchir la ligne avec nos enfants. Je réalise alors que passer la ligne est soudainement devenu un fait. Ce n’est plus une hypothèse ni un mot tabou que l’on n’ose prononcer pour ne pas conjurer le sort. En un instant, « Je suis Finisher UTMB » prend tout son sens et ne manque pas d’avoir son effet sur mon mental (bien que je n’en avais pas vraiment besoin) et physiquement. Ça y est, 5h d’effort et la ligne sera là. C’est une quasi certitude. Je peux oser visualiser le cœur de Chamonix et franchir la ligne d’arrivée. Il reste un petit doute mais nous sommes hyper confiants. Par la porte ou par la fenêtre, Finishers nous serons. Rapide dernier check du classement, nous sommes 1270e. Nous avons gagné 730 places depuis le départ.
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Avant les réjouissances, il faut encore passer la fameuse Tête aux vents. Une dernière ascension que je connais très bien pour l’avoir déjà parcourue plusieurs fois dans les deux sens. De gros rochers à enjamber pour se hisser à 2130m d’altitude. Le tout en plein soleil. Ca va être bon. Plus rien ne peut nous arrêter, nous sommes passés en mode chenilles processionnaires. Nous avançons quoi qu’il arrive. Vers 12h30, le sommet est à portée de main. Nous avons parcouru 160km. 12.000 mètres de plus et ce sera l’arrivée, le tout en descente. On bascule vers la Flégère où l’on nous prévient qu’il ne faut pas traîner en chemin pour ne pas se faire bouffer par la dernière barrière horaire. Ces barrières, encore elles… Je vérifie mon chrono, ça semble passer sans problème. En route pour Chamonix!
La descente vers la Flégère a été conçue pour rendre la dernière portion de la course bien chiante. Elle est truffée de cailloux qui donnent l’impression de s’organiser pour qu’on ne puisse pas les enjamber. Pour aider, je commence à avoir mal au ventre et dois marcher un peu. La musique du DJ qui mixe à la Flégère se fait entendre. Un bon son, une vue imprenable sur le Mont Blanc et du soleil. Mais, bon sang, il ne me manque qu’une bière pour être au paradis. Le ravitaillement est plié en quelques minutes. Dans 8km, ce sera la fin.
Nous retrouvons la fraîcheur des sous-bois et les racines qui les accompagnent. Moi qui suis devenu le « Champion international de trébuchage dans la dernière descente d’une course », ce terrain m’offre une nouvelle opportunité de défendre mon titre. Je redouble donc de vigilance. Si j’ai mis mon beau t-shirt noir pour l’arrivée, c’est pas pour arriver tout sale.
A 3km de l’arrivée, je tente de savourer au maximum les derniers instants. Ca a été long et même temps tout est passé si vite. Dans quelques minutes la course sera terminée pour nous. L’UTMB ce sera déjà fini.
Nous sortons du bois. Touchdown! Nous sommes dans la vallée. Des applaudissements viennent de partout. On perçoit aussi la voix du speakers au loin. Ça sent clairement l’écurie. Je replie mes bâtons pour la première et dernière fois et prends un air de mec pas trop fatigué après 170km (mais pas trop non plus, faut rester crédible). 800, 400, 200m… Il y a du monde dans toutes les rues. Les encouragements pleuvent. L’émotion grandit encore en moi. Je ne cours plus, je vole. Je savoure. 100m, les larmes me viennent en voyant ma famille.
Mon assistant en Chef, Eliott, me rejoint. Nous allons faire les derniers mètres ensemble main dans la main. Je suis en plein rêve. L’arrivée mythique de l’UTMB est devant nous, l’arche nous tend les bras. Je pleure, je crie, je ris, je ne sais plus… Fou de joie, Joris m’embrasse. On se regarde fixement. Ce moment nous lie désormais à vie, nous le savons tous les deux. Nous sommes désormais des amis. Ma famille me félicite, je serre mon grand garçon dans mes bras. Quelle émotion! Après 45h et 20’ le chrono s’arrête. Je suis Finisher de l’UTMB 2021. Putain, je l’ai fait. Putain… J’ai envie d’hurler.
A l’heure d’écrire ces lignes, j’ai franchi la ligne d’arrivée depuis 3 semaines et ma tête est toujours dans la montagne. Toutes les images tournent en boucle et le retour à la vie normale n’est pas simple. Je n’ai pas seulement vécu 45h de course. Loin de là! J’ai vécu une aventure vraiment unique et hyper intense. Une des plus fortes de ma vie. Cet UTMB aura été un sacré défi sportif bien sûr mais il aura surtout été un voyage au plus profond de moi-même et une rencontre et aventure humaine extraordinaires. Merci Joris pour tous ces moments.
Mes enfants, Guillaume, Eliott, croyez en vos rêves et donnez-vous les moyens de les réaliser. C’est le plus beau cadeau que vous puissiez vous faire.
A bientôt,
Jean-Pascal